Francis Papa Lyrics

(Musique: Francis et Wayner Nunes)

Jacques Poulet (1941-2007)

Quand j'étais petit, comme tous les enfants, j'étais avide d'apprendre... Avide d'apprendre tous les gros mots du dictionnaire. J'ai donc demandé à mon père: «Papa, c'est quoi la pire des insultes du monde?». Je n'oublierai jamais ce qu'il m'a répondu. Il m'a dit : «La pire des insultes du monde c'est ''Pauvre type'', si c'est dit sur le ton adéquat». Parfois les mots importent peu, ce qui compte c'est le ton. C'est une réponse typique du professeur de langues qu'il était.

Je cherche aujourd'hui l'inverse de ce que l'enfant que j'ai été voulait savoir, afin de rendre le plus bel hommage du monde possible à mon papa. Mais les mots ne permettent pas de traduire ce qu'il m'a inspiré. Parfois les mots importent peu, ce qui compte c'est le ton, c'est pourquoi, comprenez bien que c'est sur le ton le plus adéquat imaginable que je voudrais dire la chose suivante :

Mon père, c'était un type bien.

Ces derniers temps une chanson de Sarclo m'est revenue en mémoire, ça faisait:

Je pensais pas que j'aimais mon papa au point d'écrire une chanson tendre

Pour lui dire que ça peut attendre, qu'il peut partir une autre fois

Je pensais pas que j'aimais mon papa au point d'aimer les ambulances

Les infirmières et les silences de nos visites faites à mi-voix

Ce ne sont pourtant pas ces dernières semaines qui ont forgé le souvenir que j'ai de mon père. Il restera dans la mémoire de tous ceux qui l'ont connu pour son extraordinaire générosité qui le poussait toujours à mettre le confort des autres avant le sien. Depuis son accident cardiaque, nous avons reçu énormément de témoignages de personnes qui nous ont rappelé combien il les avait aidées. En digne héritier de ses parents résistants, il a vécu en accord avec sa soif de justice sociale et a toujours su rester modeste. L'exemple le plus trivial de son petit côté maniaque était justement son insistance à toujours vouloir manger les restes et le pain dur lui-même, pour que nous ayons un meilleur repas. En plaisantant, ma mère l'avait d'ailleurs surnommé Jesus Christ. Pas mal pour un athée non?

L'image de mon père restera a__ociée à tout ce qu'il a .. ma mère et moi, sa famille et ses amis bien sûr, mais aussi la Péninsule Ibérique (particulièrement Santander où il passait ses vacances étant enfant) et l'Amérique Latine (les librairies de Buenos Aires, ouvertes jusqu'à minuit, le fascinaient).

Sa radio : France Inter.

Son journal : Le Monde, qu'il découpait constamment pour garder tous les articles éventuellement liés à un sujet qui pourrait peut-être un jour intéresser quelqu'un (mon père avait beaucoup de mal à jeter du papier).

Son écrivain préféré : l'argentin Julio Cortázar auquel il a consacré une thèse.

Sa plage : l'Espiguette, ou il aimait aller bronzer tout nu.

Ses petites phrases rituelles, par exemple quand il voyait des arbres au bord d'une route, il ne pouvait pas s'empêcher de répéter : «Avant, les routes de France, elles étaient toutes comme ça».

Ses chemises à petits carreaux (que je détestais), ses mocassins, son baise-en-ville, sa valise en carton, les paysans du Larzac, les réfugiés chiliens, les documentaires d'Arte, les voitures de chez Renault, sa radio à ondes courtes, son bol de thé du matin, son biscuit dans la poche, Cria Cuervos de Carlos Saura, Comme à la radio de Brigitte Fontaine, La Maja Desnuda de Goya...

Toutes ces madeleines de Proust me le rappelleront constamment.

Même s'il nous quitte beaucoup trop tôt, mon père a eu une vie bien remplie. Il me proposait toujours de taper mes manuscrits, pour me faire gagner du temps et surtout pour m'encourager. J'ai la vanité de croire que, comme tous les parents j'imagine, il pensait que c'était moi, son fils, sa plus grande réussite. Je ne sais pas si c'est vrai, mais je vais m'efforcer de correspondre aux espoirs qu'il a placé en moi. Dans ma mémoire, mon père, ça restera surtout un bel exemple à suivre. Rappelez-vous de lui.